ARTS EnChantés ASBL

Repères philosophiques sur l'art

Les spectacles promus par l’ASBL privilégient souvent la volonté de réunir différentes pratiques artistiques. Lorsque plusieurs arts se rencontrent dans une oeuvre commune, chaque art vient renforcer les autres car tous partagent originellement le même but bienfaisant, c’est-à-dire soigner, éclairer, cultiver, nourrir, fortifier, apaiser, réjouir l’âme comme le font les attrapes-rêves. Selon les traditions autochtones des peuples nord-amérindiens (Iroquois et Sioux notamment), l’attrape-rêves piège les cauchemars et recueille des rêves pour insuffler et développer ceux-ci dans l’âme et la protéger de ceux-là autant la nuit que le jour. En effet, nos souvenirs, nos croyances, nos désirs, nos peurs, nos espoirs sans cesse tissent ensemble au fond de notre âme des rêves et des cauchemars intimes plus ou moins inconscients qui influencent et orientent notre vie, non seulement durant la nuit évidemment, mais aussi durant le jour.

«La façon dont se produit l’expérience est toujours la même, que nous soyons endormis ou réveillés.» (Tenzin Wangyal Rinpoché, Yogas tibétains du rêve et du sommeil, Saint-Cannat : 2001, p. 57-58.)

«La fonction de tri de l’attrape-rêve est une aide, un bouclier contre les mauvais rêves et les mauvaises pensées… L’attrape rêve n’est donc pas seulement une passoire à rêves mais un passeur et un purificateur d’âme.» (Guy Lesoeurs, "Protège mon rêve" dans L'Autre, vol 5, n°1, 2004, p.4-8.)

«Nous souffrons par les rêves et nous guérissons par les rêves.» (Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Paris : José Corti, 1942, p.6.)

«Je ne soigne que mes rêves…» (Jacques Brel, Interview télévisée.)

«Un effet thérapeutique est inhérent à l’art de toutes les cultures des temps anciens… Jean-Sébastian Bach parlait tout simplement de la "récréation de l’âme" que doit produire la musique» (Jurgen Schriefer, Préface à L'art du chant de V. Werbeck, Bâle : Triskel, 2007, p.19.)

«Nous oublions trop souvent combien nous sommes redevables des artistes, des recherches qu’ils engagent, des propositions qu’ils nous adressent. Nous ne savons pas exactement ce que nous apportent les œuvres d’art et en quoi elles transforment notre vision et notre perception du monde.Certes, nous n’ignorons pas, depuis Picasso, que "la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements", mais nous assignons toujours avec beaucoup de difficultés ses fonctions réelles à l’art et nous nous contentons généralement d’admettre la nécessité de cette pratique pour les seuls individus qui l’exercent. Pourtant, l’art se révèle un puissant outil de changement dont l’impact peut, quand nous y réfléchissons, se vérifier aisément. Notre regard est modifié par ce que les artistes imaginent, par ce qu’ils nous offrent à voir et par les gestes qu’ils élaborent.» (Maurice Fréchuret, "Droit de retrait", Lettre du séminaire Arts & sociétés, 16/12/2015)

«Qui mieux que l’art peut sédimenter en nous de nouvelles représentations, de nouveaux symboles, de nouveaux imaginaires du vivant, à même d’enrichir notre goût et notre disponibilité au monde vivant ?» (Estelle Zhong, "Enrichir notre sensibilité au vivant par l'art...", Séminaire de la Fondation Hartung Bergman, août 2015)

«Dans son sens primordial tout art vise à vivifier nos esprits et nos âmes ainsi qu'à stimuler notre perception extra-sensorielle.» (Neil Hague : http://neilhague.com)

Comme l'attrape-rêves, l’art n’a pas tant la fonction directe de nous réveiller que de "seulement" nous détourner des cauchemars, tandis que l’éveil est l’apanage de la religiosité notamment, d’où conséquemment l’usage rituel des cloches et clochettes pour y stimuler notre réveil : dans le cas du bouddhisme par exemple, l'emploi de la clochette dril-bu associée au varja rdo-rje est récurrente, "qu'il suffise de rappeler que l'emploi simultané des deux instruments, avec les gestes symboliques appropriés fait partie intégrante de la célébration de tout rituel et qu'il évoque l'illumination à laquelle aspire tout fidèle bouddhiste"(*), et dans le catholicisme une clochette tinte dans l’église à des moments très importants de la messe traditionnelle, de même que les cloches sonnent au sommet des églises : "On ne s’étonnera donc pas de trouver des légendes contant l’assaut du diable contre une cloche." (Claude Lecouteux, "Cloches et clochettes au Moyen Âge") (*Helffer Mireille, "Essai pour une typologie de la cloche tibétaine dril-bu", dans : Arts asiatiques, tome 40, 1985. pp. 53-67)

« C’est pour cela qu’il est dit : Réveille-toi, toi qui dors... » (Saint Paul)

« Les illusions de la conscience n’ont pas d’existence réelle. Et par cet enseignement du Bouddha, Yuse eut le satori : il comprit que jusqu’à ce jour, sa vie avait été comme un rêve et qu’il existait une vie authentique et profonde, au-delà de ce rêve… » (Taisen Deshumaru)

« Une fois que tes yeux seront ouverts le monde t'apparaîtra un rêve...» (Mohammad Taqî Mîr)

Ainsi les bons rêves que l’art protège et favorise sont comme un avant-goût onirique du réveil et donc en même temps un souvenir de la veille, tandis que les cauchemars sont encore plus éloignés de l'éveil. S'écarter du cauchemar et s'approcher de l'éveil sans l'atteindre, c'est bien là l'essentiel du travail artistique qui correspond donc exactement au rôle de l'attrape-rêves: «la tâche de tout art véritable consiste à représenter la beauté première des choses, et surtout de l'homme, à présenter à la vie réelle, désordonnée, le miroir d'une existence meilleure, originelle et idéale. … C'est donc en cela que consiste la suprême tâche de l'art : traditionnel et prophétique à la fois, il doit donner, avec le souvenir de la beauté et de la magnificence premières [avant le sommeil], un avant-goût des beautés et de la magnificence futures [après le sommeil].» (R. P. Thomas Esser, Le Saint rosaire de la très sainte Vierge, trad. par Mgr Amédée Curé, 1894, Lyon-Paris : Delhomme & Briguet, p. 216-127.)

Par conséquent, moins l'art tient à son sens originel protecteur des bons rêves, plus il risque de devenir pernicieux en favorisant les cauchemars et mauvais rêves. Un critique note ainsi à propos de l'oeuvre artistique ambigüe de Goethe : "On a extraordinairement admiré la façon dont il s'épurait en se délivrant, au moyen de l'oeuvre d'art, des rêves troubles et orageux qui le hantaient et qu'il passait ainsi à ses lecteurs. On peut faire un plus noble usage de son génie." (**) Par contre, Chagall était plus près du sens originel de l’art en déclarant : « L’art que j’ai pratiqué depuis mon enfance m’a enseigné que l’homme est capable d’amour et que l’amour peut le sauver. Pour moi, c’est la vraie couleur, la vraie matière de l’Art.… L’Art, sans l’amour…ouvrirait la mauvaise porte.» (Cité dans Park, C., La Bible illustrée par Marc Chagall (1887-1985), Thèse Université Paris Sorbonne en histoire de l'art, Décembre 2008, p. 263-265.) (**André Bellessort, "Ce que nous leur devons" dans Le Correspondant : revue mensuelle, Paris : Waille, avril 1915, p. 275.)